jeudi 16 mai 2013

Patricia Piccinini, l'homme et les monstres

La Fondation Cartier présente jusqu’au 29 septembre 2013 la deuxième exposition personnelle de Ron Mueck en France. L’occasion pour moi de présenter Patricia Piccinini, une autre hyperréaliste australienne, qui bouscule nos habitudes.

Patricia Piccinini, The Long Awaited (La tant attendue), 2008




























"J’ai répandu mes rêves sous vos pieds." C’est ainsi que s’intitulera la prochaine exposition de Patricia Piccinini à la Roslyn Oxley9 Gallery de Sydney, qui la représente depuis ses débuts. Cette phrase explique à merveille l’impression que procure l’immersion dans l'univers de l’artiste, visuellement aussi dérangeant que le deuxième « ni » dans son nom ou le « 9 » dans celui de sa galerie. En effet, l'australienne emploie toutes les techniques de l’hyperréalisme (utilisation de silicone, fibre de verre et véritables cheveux humains), mais les décline pour dépeindre des créatures directement issues de son monde onirique. Un style très singulier, même au sein de l’hyperréalisme, encore méconnu en France où elle n’a jamais exposé. Employons le mot exact, les personnages de Patricia Piccinini sont des monstres. Fourrure, viscosité, tentacules, nageoires, orifices gluants ou bourrelets de chair palpitante y sont donc omniprésents et confèrent à ces créatures imaginaires une vérité frappante. Leur vue provoque généralement dégoût, crainte et fascination. Cela n’est bien entendu pas le fruit du hasard et résulte des manigances de la sculptrice. 


Ami ?


Patricia Piccinini, Aloft, 2010
Le point commun à tous les monstres de Patricia Piccinini réside dans leur systématique mise en relation avec l’homme. La plupart présentent ainsi des caractéristiques humanoïdes, tandis que d’autres interagissent directement avec les humains. Ce rapport monstre/humain réveille en nous des angoisses profondes, à l’origine de notre crainte ou de notre dégoût et dépassant le simple stade de la peur. En effet si le cinéma de science-fiction nous abreuve de monstres aussi meurtriers qu’effrayants, la peur et le dégoût qu’ils suscitent ne sont cependant dus qu’à leur capacité à tuer et à mutiler sauvagement les hommes. Nulle interaction de ce type dans l’univers de Piccinini, puisque tous ses monstres sont doux, paisibles et vivent en parfaite harmonie avec les humains. Ils sont même littéralement intégrés à notre quotidien, puisque l’artiste a éliminé toute réaction d’étonnement de ses humains face aux monstres. Aloft (2010), présente ainsi un gigantesque nid couvert de poils et suspendu à une toile. Si la vue de cette immense bizarrerie et des pustules de chair qui en percent le pelage n’a rien de réjouissante, que dire des gigantesques larves visqueuses qui grouillent en son sein, visible par le dessus ? C’est à cet ensemble peu ragoutant que Piccinini a ajouté un garçon qui semble heureux et insouciant, agenouillé sur l’une des larves et se penchant au bord du mystérieux nid. 
Patricia Piccinini, Aloft, 2010, détail
Il est aussi espiègle que l’enfant qui a réussi à escalader un toboggan et ne montre aucune réaction de méfiance envers les larves. L’artiste crée ainsi un monde où le monstre fait partie de la norme, si bien qu’on en arrive à se demander quelle espèce infeste l’autre, le nid étant dans un édifice d’homme, l’homme dans un nid de larves. Cette intégration du monstre dans notre quotidien n’est pas sans rappeler l’univers du cinéaste David Cronenberg, chez qui la matière organique remplace souvent l’électronique et est employée quotidiennement par l’homme. Dans  Still Life With Stem Cells (Nature morte aux cellules souches - 2002), Piccinini représente ainsi une fillette jouant avec des boules de chair qui semblent vivantes et rappellent beaucoup les «Pods» qui servent de jeux vidéo aux humains dans eXistenZ (1999) de Cronenberg.


Maman ?

Patricia Piccinini, Newborn, 2010

La confrontation de l’homme et du monstre dépasse cependant la simple cohabitation amicale. La volonté de Patricia Piccinini n’est pas d’inventer des monstres purement imaginaires mais de créer, selon ses mots, «quelque chose qui n’est pas, mais pourrait être». Elle invente ainsi la créature qu’aurait pu être l’homo sapiens pour peu que l’évolution n’eut différée de celle que l’on connait. Elle questionne donc grandement la frontière qui sépare l’homme de l’animal et le monstre de l’homme. Pour ce faire elle a souvent recours à des représentations liées à la naissance, la maternité ou l’amour filial. Newborn (2010) illustre parfaitement ce procédé. C’est la sculpture d’un nourrisson dormant paisiblement sur un tapis de fourrure. Ses bras sont remplacés par des tentacules et son nez par une trompe. Cet enfant au bonheur insouciant joue avec bon nombre de nos émotions. Quelle horreur d’éprouver de l’attendrissement pour une si difforme créature ! Nous nous retrouvons ainsi confrontés à nos angoisses, face à cet enfant qui nous ressemble tant mais qui est si répugnant. Ses traits humanoïdes évoquent la peur qu’a la femme enceinte d’accoucher d’un enfant difforme, la peur qu’a un parent d’avoir un fils « anormal » ou la peur d’être nous-même perçus comme des monstres. L’ensemble étant bien sûr exposé, exhibé, comme l’étaient Elephant Man et les autres phénomènes de foire il n’y a pas si longtemps, jouant avec la curiosité qui nous ronge face aux monstruosités humaines. Une incroyable remise en question de ce qu’est la norme, de notre rapport à la différence et de la sainte intégrité de notre corps. Des œuvres incontournables à l’heure où le clonage, les manipulations génétiques et les biotechnologies risquent de bousculer notre idée du vivant et de l’humain.


Et maintenant ?


Patricia Piccinini prépare sa prochaine exposition I have spread my dreams under your feet à la Roslyn Oxley9 Gallery. Entre temps, elle s’est consacrée à une œuvre monumentale : Skywhale. C’est un dirigeable en forme de baleine difforme aux multiples mamelles, réalisé à l’occasion du centenaire de la ville de Canberra.  Aucune exposition française n’est actuellement prévue bien que Piccinini soit exposée aux quatre coins du globe. Frilosité de la part des musées français à l’égard de cette artiste surprenante, dont aucune œuvre n’a encore été acquise par un musée non-australien. Le meilleur est donc probablement à venir.

Patricia Piccinini, Doubting Thomas, 2008





Quelques autres sculpteurs hyperréalistes



Duane Hanson, Tourists, 1988

Depuis Duane Hanson et ses représentations de la middle class américaine, la sculpture hyperréaliste a trouvé de nombreux adeptes. Si certains manquent de singularité, à l’image de Jamie Salmon dont les créations peinent à présenter plus qu’un étonnant réalisme, d’autres ont su s’approprier la technique et la mettre au service de leur imaginaire. Parmi ceux-là, le plus célèbre est sans conteste l’italien Maurizio Cattelan, dont les créations choquantes ne cessent d’affoler le marché de l’art. Extravagant, l’artiste manie avec prodige tous les symboles de notre époque, prenant un ostentatoire plaisir à les tourner en dérision dans de savantes mises en scène. Il s’attaque entre autre à l’Eglise avec La Nona Ora (1999), effigie du pape Jean-Paul II frappé par une météorite ou Ave Maria (2007), œuvre mettant en scène trois bras sortant d’un mur en position de salut hitlérien. 
Maurizio Cattelan, Ave Maria (2007) et La Nona Ora (1999)


Se faire connaitre dans l’ombre d’une telle célébrité de l’art contemporain n’est pas chose aisée, mais quelques noms font déjà le tour des plus prestigieuses institutions. Evan Penny est l’un d’entre eux. Il fait subir à certaines de ses sculpture des déformations telles qu’elles semblent être la version en trois dimension d’une photographie mal agrandie. Le caractère inhumain et froid de ces distorsions combiné au réalisme de la représentation confère aux figures une apparence immatérielle saisissante. Moins radical, Ron Mueck joue avant tout avec les échelles de taille. L’exemple le plus frappant est Dead Dad (1997), une représentation crue de son père gisant nu, réalisée aux deux tiers de sa taille réelle.
Ron Mueck, A Girl, 2006
Cette sculpture réduite du vieux corps s’oppose à la monumentalité de A Girl (2006), un nourrisson couché de 5 mètres de long. Naissance, maternité et vieillesse sont des thèmes chers à Mueck, qui les traite dans la nudité avec toute l’impudeur de l’hyperréalisme. Il partage ce goût pour les stades radicaux de l’existence avec Sam Jinks et Patricia Piccinini, les deux autres représentants de la sculpture hyperréaliste australienne. Si ces derniers ont beaucoup collaborés, Jinks adopte cependant un style plus mesuré, ne soumettant l’homme qu’a de légères mais gênantes transformations. Tattooed Woman (2007) présente ainsi une vieille femme en robe de mariée, la poitrine nue et couverte de tatouages. Un moyen de nous picoter les pupilles et de nous faire éprouver une curiosité proche du voyeurisme. 

1 commentaire:

  1. J’adore le travail de cet artiste !!
    Pour voir d’autres artistes qui ont choqué les bonnes moeurs:
    https://blog.singulart.com/fr/2017/06/19/les-artistes-contemporains-les-plus-decales/

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